Les restaurants associatifs à Paris #2 : La Commune

REPORTAGE. Notre feuilleton sur les restos associatifs, ces lieux de convivialité en pleine expansion, se poursuit à « La Commune », dans le XIIe arrondissement. Cette fois l’ambiance est très politique. Ici, « on crée les amorces d’une autre façon de vivre ».

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Lorsque l’on veut se rendre dans un restaurant associatif, mieux vaut choisir son adresse. La clientèle et l’atmosphère varient d’un établissement à un autre. Aussi La Commune est-elle bien différente de Tout Autre Chose, l’association-table d’hôtes que nous visitions il y a deux semaines. Ce restaurant est né voilà 6 ans, quand l’association de vingt ans Commune Libre d’Aligre a répondu à un appel d’offres de la mairie pour l’acquisition d’un ancien squat du XIIe arrondissement.

Chanson et bon vin

Le local a été rénové dans un style moderne : mobilier blanc, murs anthracite et tableaux colorés. Sous un empilement de tables, deux enfants jouent sur une console de jeux portable. « Vous voulez chanter ? », nous demande la mère de l’un d’eux, sourire aux lèvres et livret de chant à la main. Derrière elle, une vingtaine de têtes grisonnantes sont installées sur six rangées de chaises, tournées vers un musicien. Christophe tourne la manivelle d’un orgue de barbarie et chante « Le temps des cerises », repris en coeur par l’assemblée. Près de l’entrée, dans une cuisine moderne rouge et inox, J-C et Toni, deux quinquas vêtus de tabliers roses, préparent le repas. Après le concert, c’est soirée… choucroute. Il faut dire que c’est de saison. Mais si l’odeur et la chaleur ambiantes rappellent le Foyer, l’esprit est profondément différent.

Christophe enchante La Commune avec son concert d'orgue de barbarie. (Photo : Mickaël Guiho)

« Le but, c’est d’avoir un lieu intergénérationnel, avec des animations culturelles et des moments d’expression des habitants du quartier », explique Jacques, le secrétaire. Adeline, professeur de dessin, aime surtout cette « ambiance de campagne au milieu de Paris. On est dans un 20 m², mais on s’aère l’esprit. Paris manque de lieux sociaux. Les bars, c’est 4 € le café et il faut payer pour aller aux chiottes… ». Ici les plats sont vendus entre 6 et 10 €. Ils n’en coûtent que 3,5 €. La différence s’ajoute aux recettes des cotisations (à 5 € minimum). « La restauration, c’est notre base économique », conclue Jacques. Manger n’est pas un but, plutôt un moyen. Et s’il est suffisant, c’est en partie parce que les adhérents ont « bataillé ferme » avec la mairie (dixit Bertrand, un membre) pour obtenir une réduction de leur loyer : de 1000 € mensuels à 1000 € l’année !

Politique et soixante-huitards

L’ennui, c’est que, bien que La Commune compte 1 500 adhérents, la bande d’amis peine à s’élargir. « Parfois, il n’y a que 10 % de gens du quartier, note Bertrand, retraité et ancien libraire. Mais c’est évident qu’on ouvre peu sur les ouvriers. » Et pas seulement. Un couple d’étudiants entre et fait la moue avant de repartir. « Cette soirée-là n’est pas pour eux », rigole Toni, en cuisine. L’anecdote est peut-être révélatrice. « Les jeunes du quartier ne viennent jamais, se désole Bertrand. Pourtant on a tout essayé, on a fait des cycles cinéma, même en arabe. Mais on n’y arrive pas.»Soirée choucroute à La Commune (Photo : Mickaël Guiho)

La mixité aurait donc ses limites. Du moins quand l’identité de l’établissement est profondément marquée, comme ici. Lorsque l’association organise des « rencontres & débats », c’est pour parler écologie ou conquête de l’espace public. Michel, un autre adhérent, peste continuellement contre « le système »« Ici c’est comme le petit village gaulois, s’amuse-t-il. Et moi je suis le barde, qui énerve tout le monde en n’arrêtant pas de parler ». Bref, les esprits sont rouges et revendicatifs.  Bertrand, l’ex-libraire, est aussi membre d’Attac. Il explicite : « On fait de la politique ici. Plus que dans un parti. Il y a un monde qui s’écroule et je pense qu’on prépare la transition, on crée les amorces d’une autre façon de vivre.»

On savait que les restaurants associatifs avaient tendance à se multiplier. On sait maintenant que certains voudraient diffuser leur philosophie, leur esprit convivial et rouge, dans toute la société, dans notre futur quotidien parisien.

Mickaël Guiho et Boris Letondeur

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