« Bobos, prolos, cocos » : les habitants racontent le nouveau visage de Montreuil

MONTREUIL. Dans cette ville en pleine évolution depuis quinze ans, les résidents de longue date partagent leur vision de Montreuil, et commentent ses transformations.

Younes, 50 ans : « Les Parisiens vont au café d’en face, pas dans le mien »

Younes,  patron  du bar l’Anjou depuis 22 ans , l’un des repères historiques de la place du marché.

Younes, patron du bar l’Anjou depuis 22 ans, un repère historique de la place du marché. (Crédit : P.S.)

« J’ai habité ici, juste à côté du café pendant 8 ans, puis j’ai déménagé un peu plus loin. Avec nos habitués, nous sommes comme une communauté. Yougoslaves, Kabyles, Maliens, tout le monde se connaît. Les enfants des uns jouent avec les autres. Le soir, chacun vient ici pour jouer à la belote, discuter. Derrière mon bar, je m’occupe des vieux, en quelque sorte ; ceux d’avant et d’aujourd’hui. Plus tard, j’en ferai peut-être partie ! Pendant longtemps, le quartier est resté tel quel. Mais depuis les années 2000, il s’est transformé. Par exemple, au nouveau café d’en face,  ils font des concerts, des animations. Les Parisiens aiment y aller, mais n’entrent jamais ici. Pour moi, tant que les gens qui vont au marché viennent dans mon bar, je peux conduire la barque ! »

Laurent, 48 ans : « Les villes changent, le monde change, rien n’est immuable »

Laurent,  travaille depuis 25 ans dans sa boutique de réparation d’accordéon.

Laurent travaille depuis 25 ans dans sa boutique de réparation d’accordéon. (Crédit : P.S.)

« Montreuil, c’est comme un village.  Il a une âme forte, avec ses associations, ses collectifs. Je n’y habite plus depuis 8 ans mais je continue à travailler ici,  à voir mes amis, les gens du quartier. Mes clients ne sont pas uniquement des Montreuillois. Certains viennent de Paris, d’autres de province, voire même du monde entier.  Je suis souvent sollicité par la presse, que ce soit pour des interviews pour mon travail ou alors sur le quartier. D’ailleurs, j’ai remarqué que ces derniers temps, c’est devenu de plus en plus fréquent. Mais il faut arrêter de dire que Montreuil change, que les bobos débarquent… J’ai la perception que certaines choses ont changé, d’autres pas du tout. Peut-être que tout dépend si on est un vieux Montreuillois de 70 ans ou comme moi depuis seulement 20-30 ans. Je ne suis pas sûr qu’il y ait plus d’artistes aujourd’hui que dans le milieu des années 90. Les autres villes aussi changent, le monde change, rien n’est immuable. »

Pierre, 79 ans : « La population de Montreuil n’est plus comme dans le temps »

Pierre, retraité, réside depuis 1944 dans son pavillon familial.

Pierre, retraité, réside depuis 1944 dans son pavillon familial. (Crédit : P.S.)

« Je suis arrivé à Montreuil après la guerre. Mon père avait un pavillon qui appartenait  à la première femme de mon grand-père. Sans cet héritage,  je serais resté à Paris. À la fin de ma carrière chez Citroën, je me suis mis à mon compte. J’étais bien obligé, tout fermait ici.  Montreuil était bien à cette époque, c’était un village. Aujourd’hui les nouveaux bâtiments se multiplient. Ils commencent à démolir tout pour remettre à neuf. Les logements sont devenus trop chers. Tout s’achète à crédit ! Avant, il n’y avait pas de logements sociaux, ni de RMI… Il y avait du travail partout. La population de Montreuil n’est plus comme dans le temps. Il risque de gros changements encore. La mairie rachète déjà toutes les maisons d’héritiers à bas prix. Ils refont des logements sociaux pour loger des Africains, des étrangers qui versent des loyers à la mairie. Ça fera du neuf partout. »

Antoine, 49 ans : « Je reste à Montreuil pour la mixité et la convivialité »

Antoine, 49 ans, un habitant depuis 4 ans,  a passé sa vie en banlieue parisienne.

Antoine, 49 ans, Montreuillois depuis 4 ans, a passé sa vie en banlieue parisienne.

« Montreuil, c’était des jardins, des terrains. Mais avec les crises, les gens ont commencé à construire des cabanons dans les jardins. Ils en sont venus à ajouter une deuxième pièce au cabanon pour finalement bâtir une maison. Montreuil s’est élaboré ainsi, un peu de façon anarchique. D’ailleurs, si la propriété a été construite comme ça, chaque fois qu’une personne âgée décède, la mairie a le droit d’exproprier les héritiers. Le grand changement, c’est le tout nouveau quartier qu’ils ont fait. Ils ont construit des bureaux pour attirer des entreprises. Ils ont installé quelques commerces, mais on ne voit pas de petits artisans. Ce ne sont que des chaînes. Je reste à Montreuil pour la mixité et la convivialité, comme au marché, il n’y a pas de « pète-culs ». Mais c’est l’amour qui m’attache à Montreuil, ma femme y habite. »

Monique, 68 ans : « J’aimerais bien qu’ils arrivent, ces bobos »

Monique est commerçante dans la rue piétonne depuis 26 ans.

Monique est commerçante dans la rue piétonne depuis 26 ans.

« J’aime bien ce quartier sympathique. C’est resté un peu dans l’esprit village. Avant, il y avait des échanges entre les commerçants, des blagues avec nos clients. En 1986, quand on est arrivés, avec mon mari, la rue était super belle. Que du beau monde, des dames avec des manteaux de fourrure avec des caniches. On est tombés fous amoureux de la rue, il y avait tellement de vie. C’était noir de monde ! Je trouve que ça a changé en moins bien, surtout depuis que le Quick s’est installé. Avant on avait un quincailler, un électricien, un libraire, une petite épicerie, bouchers, charcutiers. Ils ont été changés par des bazars, des kébabs partout. C’est ça qui fait perdre la rue. Le mode de vie actuel le veut ainsi. Maintenant les gens vont dans les grandes surfaces. Je ne sais pas vraiment comment ce sera dans 15 ans. On entend « les bobos arrivent ». Il y a ces grandes maisons, mais elles sont toujours vides. J’aimerais bien qu’ils arrivent, ces « bobos » ! Mais il faudrait mélanger davantage les classes sociales d’ici là, qu’on nous mette tous ensemble. On serait une dizaine par-ci, une dizaine par-là, plutôt que de faire ces grands bâtiments avec des gens les uns sur les autres. » 

Gérard, 67 ans : « Les classes populaires ont été repoussées dans le Haut-Montreuil »

Gérard, retraité et militant à l’Union syndicale Solidaires, habite dans un HLM  depuis 1994.

Gérard, retraité et militant à l’Union syndicale Solidaires, habite dans une HLM depuis 1994.

« Il y avait tout un secteur industriel à Montreuil. Depuis que tous les ateliers ont fermé, les gens qui ne pouvaient plus se loger à Paris sont venus pour les racheter et les transformer en lofts. Pour moi, c’est dramatique car cette invasion de « bobos » a repoussé les classes populaires, au mieux, dans le Haut-Montreuil, au pire, bien plus loin. Mes enfants étaient scolarisés dans les écoles publiques de la ville et ils étaient avec les enfants des classes populaires et des familles immigrées. Malheureusement, j’ai l’impression que c’est de moins en moins le cas. Montreuil est en train de perdre sa mixité sociale. Moi, ce qui me plaisait, c’est justement cet échange de populations. Aujourd’hui, je supporte mal celle qui arrive, je la trouve de plus en plus individualiste. Mais c’est la société qui change, pas uniquement Montreuil. Je commence à penser à quitter la ville. Je me verrais bien aller en province. »

Fanny, 38 ans : « A cause des bureaux, des magasins ont fermé »

Fanny, montreuilloise depuis 7 ans,  vient d’ouvrir un dépôt-vente de vêtements pour enfants.

Fanny, Montreuilloise depuis 7 ans, vient d’ouvrir un dépôt-vente de vêtements pour enfants.

« Dans mon ancien immeuble, à Paris, je ne connaissais pas mes voisins. Ici, je fréquente toute la copropriété et le quartier. Ça peut avoir des inconvénients mais c’est ce côté village qui m’a plu. Certains pensent que les bobos ne se mélangent pas. À l’école de mes filles, ce n’est pas ce que je vois. Après je ne sais pas si je fais partie des « bobos », peut-être que oui ! Ce qui me plaît moins à Montreuil, c’est l’état de la ville. Les rues sont mal entretenues, pas très vivantes. Quand j’ai ouvert mon magasin, je m’attendais à voir plus de passage. C’est quand même la rue piétonne de Montreuil (ndlr : rue du capitaine Dreyfus). Ça manque de vie ! Beaucoup de commerces ont fermé. Dans mon quartier, il y avait une petite librairie et maintenant c’est une sandwicherie. Et ça, c’est à cause des bureaux ! Il y a aussi de nombreux bâtiments délabrés. Je sais qu’il existe un projet pour faire cohabiter, dans un même immeuble, habitants, bureaux et commerçants. Si ça peut vraiment se développer, ce serait formidable. Par contre, Montreuil doit rester accessible et ne pas devenir élitiste. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai créé un dépôt-vente. La mixité sociale à Montreuil est très importante et on doit la protéger. »

Touta, 49 ans, artiste peintre et styliste, installée en 1992 : « Pour une ville verte, Montreuil est dégueulasse, pourrie »

« Pour une ville verte, Montreuil est dégueulasse, pourrie. Esthétiquement, c’est moche ! Le communisme et l’esthétique, ça ne va pas ensemble et c’est dommage d’ailleurs. J’aime de moins en moins Montreuil. Les gens sont moins sympas et il y a des plus en plus de pauvres. Avant c’était populaire mais là c’est misérable. Tout le monde est touché. C’est simple avant j’allais chez Monoprix, maintenant je vais chez Dia. Moi si j’avais du pognon, j’habiterais pas à Montreuil. Je ne comprends pas pourquoi les bobos sont venus ici. Pour eux, c’est peut-être bien de briller au milieu des pauvres, je ne sais pas… En 2030, j’espère que je ne serais pas là ! Je me vois bien en Andalousie, les cheveux dans le vent, avec un petit foulard en compagnie des gitans à écouter de la musique. Alors bien sûr, tout n’est pas noir parce que c’est vrai quand que je vais ailleurs, Montreuil me manque ! Quand je vais en Italie, il y a trop de blancs. Ce que j’aime ici, c’est la mixité. »

Pauline Stroesser, Sandy Benkimoun, Aurélie Célérier

Comments

  1. Cet empilage de témoignages montre bien une réalité plus complexe que ce que l’on peut penser… intéressant. vraiment

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